Cours d'exorcisme au Vatican

Cours d'exorcisme au Vatican
Cours d'exorcisme à la Regina Apostolarum

samedi 17 mai 2014

Le livre "Paroles de possédés" est paru!

Disponible à la vente depuis le 16 mai 2014, "Paroles de possédés" est en vente sur le site "lulu.com"
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samedi 29 mars 2014

Le diable probablement...

Le diable probablement... 
Crédits photographiques : Pat Roque (AP Photo).

«Le progrès fait des porte-monnaie de peau humaine.»
Karl Kraus, Pro Domo et Mundo.


Après tout, j'aurais quelque malhonnêteté, puisque j'affirme qu'il faut rendre aux mots leur signification véritable, de ne pas appeler un chat un chat ou, moins prosaïquement, de prétendre que le Mal n'est rien de plus qu'une dommageable moisissure dont un simple désinfectant nous débarrassera à coup sûr, idée ridicule dans laquelle les apôtres du Progrès macèrent depuis des lustres, sans qu'aucun déchaînement d'horreur ne puisse venir, semble-t-il, à bout de leur optimisme béat. Dès lors, il faut bien donner à ce Mal une origine et éviter de prétendre, comme le font nos philosophes (et bien sûr beaucoup, de plus en plus de nos prêtres), qu'il n'est rien de plus qu'un défaut sur la toile provenant du fait que nous, pauvres observateurs, n'avons pas pris suffisamment de recul pour contempler le chef-d’œuvre dans son harmonie. Le problème, mais il est de taille, c'est que je suis de plus en plus certain que ceux-là mêmes qui devraient être assurés de l'existence d'une conscience surnaturellement et tout entière mauvaise ne sont absolument plus certains qu'elle existe, que le démon existe... Il est vrai que nombre de nos prélats auraient quelque difficulté à croire à Satan puisqu'ils ont depuis belle lurette admis que Dieu avait la figure d'un vieux grison pétri de culture démocratico-humanitaire...
Voici en tout cas un entretien que j'eus avec le Père Charles Chossonnery, alors exorciste du diocèse de Lyon, dont je ne sais aujourd'hui plus rien. Me hante encore son malicieux regard d'un bleu délavé qu'il me décochait quand, dans notre dialogue, je tentai de lui faire dire que, finalement, malgré ou peut-être à cause de tout ce qu'il avait vu de ses propres yeux, il ne croyait plus guère à l'ami qui, comme Bernanos l'écrit, ne reste jamais jusqu'à la fin...
Je ne cesse de penser, aussi, plutôt qu'au film de Friedkin où l'on voit tout de même un homme à la foi vacillante donner sa vie pour sauver l'innocente possédée, au mystérieux récit du grand Gustaw Herling sur le thème des voies retorses que le Mal emprunte pour châtier les prétentieux... Il faut d'ailleurs lire et relire, à ce sujet difficile, le remarquable entretien que Herling accorda à Edith de la Héronnière sur la question du Mal et de ses liens avec la littérature dans Variations sur les ténèbres...

Voici, donc, cet entretien.

«L'innommable du mal dessine à jamais le champ dans lequel la pensée ne pourra pas s'arrêter de penser.»
Yves Ledure, L'impossible figuration du Mal, in Le Mal et le Diable. Leurs figures à la fin du Moyen Age (Beauchesne, coll. Culture et Christianisme, n°4, 1997), p. 266.


Je publie ici les réponses à quelques questions auxquelles, naguère, le Père Chossonnery prit, avec une très grande amabilité et patience, le temps de répondre. Ayant égaré l'original de ces questions, elles ont toutes été réécrites de mémoire. Que le Père Chossonnery veuille excuser par avance, les inévitables différences qu'il constatera entre l'original du questionnaire qu'il a lu et cette version publiée; cependant, je pense que l'esprit de mes questions a été respecté, l'essentiel donc.

Juan Asensio
Et, tout d'abord, Père, dans cette première question qui concerne votre ministère, celui de l'exorcistat, — un parmi les quatre mineurs conférés aux prêtres —, un très rapide pointage historique. Les exorcismes, on le sait, ont d'abord été pratiqués par le Christ, certain épisode célèbre, comme celui des pourceaux de Gérasa (cf. Mc 5, 1-20; Mt 8, 28-34; Lc 8, 26-39) en témoigne; par les apôtres aussi, qui, tout comme le Christ, distinguent parfaitement les deux pouvoirs, celui de l'exorcisme et celui de la guérison des maladies — cette précision, pour les tenanciers d'une réduction du phénomène de possession à celui de maladie. Immédiatement, on comprend que l'exorcisme est avant tout une praxis plus qu'une connaissance purement théorique, peut-être non exempte de quelque complaisance intellectuelle. Très vite, l'exorcisme devient lamarque de fabrique de la très jeune Église: Justin Martyr, au IIe siècle, écrit dans son Dialogue avec Tryphon (85, 3) que l'expulsion du Démon est pratiquée par la seule profération du nom du Christ, sous la forme de l'adjuration reprise du symbole de foi Au nom de Jésus-Christ crucifié sous ponce Pilate : Si vous adjurez [exorkizête] les démons au nom de n'importe lequel des rois [...], ils ne se soumettent pas. Si, au contraire, l'un de vous l'adjure au nom du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du Dieu de Jacob, il se soumettra [...]. Saint Irénée (Adversus Haereses, 2, 6, 2), puis Tertullien (Apologeticum, 23, 4) attestent à leur tour cette puissance du Nom, tandis que le rituel de l'exorcisme s'enrichit de nouveaux gestes, comme celui de l'imposition des mains, de l'exsufflation ou de l'onction avec de l'huile. Très tôt également, on relève l'importance du jeûne. De plus, il ne faut pas oublier qu'à cette époque révolue, le baptême était déjà par lui-même un rituel d'exorcisme élaboré (cf. Cyrille de Jérusalem, Procatechesis, 9), alors que de nos jours celui-ci a presque totalement disparu, étant de plus considéré comme facultatif. A l'origine, le don d'exorcisme est parfaitement charismatique; il n'est ni une fonction, ni un titre, surtout pas une dignité ecclésiastique. Il faut attendre le concile de Laodicée (vers 360), pour qu'apparaisse le premier témoignage d'un statut spécifique des exorcistes. Ensuite, le Rituel Romain (1614) a codifiél'exercice très particulier et périlleux de l'exorcisme; resté tel quel jusqu'à une date récente, ce rituel a subi quelques petites modifications en 1926 et en 1952. Enfin, depuis 1990, un nouveau rituel est expérimenté, en toute discrétion, par les prêtres; il est appelé Rituel ad Interim. La tendance générale, nettement précipitée depuis le XIXe siècle, on le constate, est donc à la réduction du rituel de l'exorcisme. Quelle est votre position sur ce point, Père ?

Charles Chossonnery
Ce ministère a son sens, sa référence, sa légitimité en Jésus-Christ. Il importe de recadrer et d'interpréter ce ministère actuel. Il est inséré dans une tradition. Et toute tradition digne de ce nom n'est pas un fixisme répétitif mais une vitalité évolutive qui tisse une histoire. Le ministère actuel ne saurait donc être copie conforme des gestes du Christ mais il s'inspire et découle de l'action, de la parole d'autorité de Jésus-Christ et des pratiques des premiers chrétiens. Hier comme aujourd'hui, l'exorcisme est livré au Baptême. Au Baptême, solennellement, on fait profession de foi en Jésus-Christ, au Père, à l'Esprit Saint. On choisit. Donc aussi on élimine. C'est le mal et l'auteur du mal qui est éliminé, solennellement: d'où l'étymologie du mot exorcisme que vous soulignez à juste titre. Il s'agit bien d'une adjuration venant de l'autorité divine. Aux premiers temps de l'Église, cette pratique allait de soi. Les chrétiens, dans la foulée du premier Testament et surtout suite à la mort et à la Résurrection de Jésus-Christ, vainqueur du péché, du mal et de la mort, ont réussi à se démarquer des croyances polythéistes, superstitieuses, magiques, en condensant la victoire du Christ sur un seul opposant : Satan, le Diable. L'existence de Satan comme obstacle pervers à Dieu, à l'homme, au cosmos, allait de soi. Et cela est attesté par de nombreux textes. Mais tôt ou tard ce qui va de soi se retrouve mais en question par l'évolution de la vie et les influences et pressions extérieures.
C'est ainsi que l'Église a dû préciser et sa doctrine et ses pratiques. En dehors de l'Église l'on continuait à donner une trop grande place à Satan. C'est donc à l'occasion de déviances que l'Église redonne son identité: cette première intervention est relativement tardive, d'ailleurs, et locale, elle s'est faite au concile de Braga (Portugal) en 563. L'autre déclaration importante a été faite au IVeconcile de Latran en 1215. Les ouvrages Satan de Georges Tavard (Desclée Novalis) et Le Diable, oui ou non de Pascal Thomas (Centurion) donnent ces indications.
Ces positions prises par l'Église sont motivées par la doctrine manichéiste qui faisait de Satan le symétrique de Dieu. Satan n'est pas principe, ni créateur, mais créature sur qui Dieu a pouvoir. Hélas, il existe toujours certains relents manichéistes !
Les rituels codifiés d'exorcisme, comme vous le signalez, arrivent donc bien après ces positions officielles. Et les rituels, l'histoire le dit — et Vatican II l'a bien montré — ne sont pas éternels. Le rituel en préparation, non encore publié officiellement, n'est pas une réduction des anciens rituels. Je le redis encore : une nouvelle formulation montre que la vie ne peut pas être un automatisme de répétition. On ne peut plus parler du transport comme au temps de la diligence. Attention aux arrière-pensées des fixistes ! Aujourd'hui, officiellement, il est demandé aux prêtres exorcistes d'être en contact avec la médecine et la pensée moderne. S'il en était autrement, que serait le DIALOGUE officiellement pratiqué ?

Juan Asensio
Nombre de nos lecteurs, j'en suis certain, ont à l'esprit certaine scènes éprouvantes de rituels d'exorcisme, tels qu'un film comme L'Exorciste, adapté du roman de William Peter Blatty, a pu les populariser. Il y a là, bien évidemment, une nette volonté de frapper les imaginations; cependant, la simple lecture de l'ouvrage que le Père Joseph Surin — qui fut l'exorciste officiel du célèbre couvent des Ursulines de Loudun, et plus particulièrement de Mère Jeanne des Anges — rédigea au soir de sa vie donne des frissons (Triomphe de l'Amour divin sur les puissances de l'Enfer, Jérôme Millon, coll. Atopia, 1990). Rappelons que le Père Surin, considéré par Malley comme l'homme peut-être le plus mystique du XVIIe siècle, sombra dans un déséquilibre mental, à la suite de ses exorcismes, qui jamais toutefois ne lui ôta l'usage de sa raison: il fut interné pendant vingt ans dans le cachot d'une infirmerie, au collège de Bordeaux. Avant que vous ne nous décriviez, mon Père, les modes d'infestation diabolique, détaillons pour nos lecteurs ce que dit le Rituel Romain sur la possession. Tout d'abord, la première consigne donnée à l'exorciste est qu'il ne croie pas facilement à la possession (In primis ne facile credat aliquem a daemonis obsessum esse); la deuxième, que l'exorciste sache quels signes distinguent le possédé de personnes tourmentées par la mélancolie, l'hystérie, l'épilepsie ou toutes autres formes de névroses (Nota habeat ea signa quibus obsessus dignoscitur ab iis qui vel atrabile, vel morbo aliquo laborant); la troisième, sans doute la plus connue du grand public, qui indique trois signes particuliers de la possession : signa autem obsidentis daemonis sunt : 1 — ignota ligna loqui pluribus verbis, vel loquentem intelligere; 2 —distantia et occulta patefacere; 3 — vires supra aetatis seu conditionis naturam ostendere. En bonne traduction française, ces trois signes sont donc : 1 — l'usage ou l'intelligence d'une langue inconnue; 2 — la connaissance de faits distants ou cachés; 3 — enfin, la manifestation d'une force physique dépassant l'âge ou la condition du sujet.

Charles Chossonnery
En union avec les exorcistes (car nous nous rencontrons et échangeons), je rencontre beaucoup de personnes qui se dirent possédées, donc privées de leur autonomie par Satan ou un mauvais esprit. Je dis: attention à la surenchère et au simplisme. Il convient d'examiner d'abord si celui qui se dit VICTIME est totalement INNOCENT... Ne peut-on pas ainsi, même si l'on est victime, devenir COMPLICE et même sympathisant du mal et des ses auteurs ? Ne peut-on pas encore, dans un genre de contre-attaque ou de vengeance, devenir AGENT et ACTEUR qui pense, projette, prémédite, exécute une riposte de même nature que celle du mal subi ?
Par analogie avec l'échelle de Richter, il convient de mesurer la gradation des dégâts:
— Ce mal attribué à un agent extra-terrestre, le démon de La Bible et de la Tradition chrétienne ou à un mauvais esprit, n'est-il pas la manifestation de la partie ténébreuse de moi-même ? Saint Paul (Épître aux Romains, 7, 14 et sq.) déplore ne pas pouvoir faire le bien qu'il veut et faire le mal qu'il ne veut pas.
— Ce mal qui m'aliène ne vient-il pas d'un proche, d'un voisin, d'un autre qui a bien les pieds sur terre, avec qui je suis en conflit, ayant mes propres torts ?
— Ce mal ne vient-il pas de l'influence acceptée (et non rejetée) d'un lobby, d'une mafia, d'un snobisme de bas-fonds ?
— Ce mal dépasse-t-il les limites de la perversion humaine connue ? Les tristes exemples d'auteurs de génocides, de tueurs à répétition, de tous ceux qui s'identifient aux législateurs absolus, capables de vouloir DÉCRÉER pour refaire un autre monde qu'ils veulent gérer font-ils tout ce mal d'eux-mêmes, ou se réfèrent-ils à Satan, tel que le désigne La Bible et la Tradition chrétienne ? La question se pose et se posera toujours.
En d'autres termes, termes, on peut dire que l'expression possédé(e) du démon, avant d'être employée avec prudence (parce qu'il met plusieurs réalités différentes à la même enseigne), exige de nombreuses distinctions. Affirmer que l'on n'est plus soi-même relève de différentes situations que l'on peut présenter ainsi:
A — L'Influence
En famille, en société, de par l'histoire et l'historicité, l'environnement, tout être humain subit des influences plus ou moins fortes, superficielles (la mode) ou profondes, état qui oriente plus ou moins vers l'idolâtrie.
B — La Séduction
Qui est toujours artificielle, mensongère, voire théâtrale. C'est le poisson qui mord à l'hameçon, au leurre, au mirage. On trompe par flatterie : Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau. On trompe par l'épouvante, par l'effarouchement qui fragilise, terrorise et diminue jusqu'à l'évacuation du goût et de la raison de vivre. Dire, avec le masque déformant d'une autorité abusive et non fondée : Tu n'es bon à rien. Tu échoueras. Je t'ai à l’œil, est une action assassine. Toute menace abusive et théâtrale est homicide.
On trompe avec le vrai: triste et suprême habilité qui consiste à suréclairer un aspect de la vérité et de laisser dans l'obscurité ses autres aspects. Ce procédé est attesté dans l'Évangile : le démon tente Jésus à partir de l'ÉCRITURE ! C'est ainsi que saint Paul pouvait dire que Satan est ange de lumière. Comme l'ambiguïté est une composante du réel, il est facile, par ruse, de trafiquern'importe quoi.
C — L'Accaparement
L'occupation du champ de la conscience par un malaise, un manque, une défection, etc. Ceci conduit à l'obsession, à l'idée fixe, lancinante... et donc à la maladie.
D — L'Infestation
Qui est présence d'un virus d'ordre psychologique ou éthique : cet état est du ressort des habitudes, de l'habitus, du péché plus ou moins grave. C'est garder le ver dans le fruit.
E — L'état second
Constaté surtout suite à des expériences présomptueuses de spiritisme. Cet état qui part d'une avidité de faire des exploits ou des prouesses peut aller jusqu'à la volonté de franchir les limites du réel connu (par exemple, le dialogue avec les défunts) et conduire à la GNOSE : la connaissance ABSOLUE... Or, peut-on saisir l'insaisissable ? Une expérience d'état second, une modification d'état de conscience (drogue, manipulation mentale, lavage de cerveau) laissent traces et séquelles longues à se résorber.
F — L'Incorporation
... dont on parle beaucoup, et pas toujours selon la sagesse et la rigueur scientifiques ! Des auteurs sérieux (ainsi Anne Ancelin-Schützenberger dans Aïe mes aïeux ! parlant de fantômes, d'impression d'être habité par un autre) méritent une analyse: je cite, Ce ne sont pas les trépassés qui viennent nous hanter mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres (L'Écorce et le Noyaud'Abraham Nicolas et Török Marie, Aubier Flammarion, p. 429) Peut-être y a-t-il aussi dans cette prétendue incorporation un certain attrait pour la métamorphose...
G — La Possession
Qui elle aussi a son échelle de Richter :
— Il se peut qu'un jour de découragement (prières non exaucées), que quelqu'un, par dépit ou colère, se tourne vers Satan... comme l'on change de fournisseur lorsqu'il n'a pas donné satisfaction. Cette attitude peut engendre un trouble et une culpabilisation : pourquoi ? Parce que appeler et invoquer c'est, d'une certaine manière, donner une consistance, une impression de réalité. Comme le dit l'adage : Il suffit d'y croire pour que ce soit vrai... En réalité, le démon n'est pas venu pour autant, automatiquement. Mais l'appel déviant a créé dans la subjectivité une impression illusoire : il faut s'en dégager par le sacrement de réconciliation.
— Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es. Si l'on fréquente un sujet pervers, si l'on mise d'une façon ou d'une autre sur les capacités de l'Ennemi de Dieu, il s'ensuit toujours un malaise.
— Vient après la cas où l'on vendrait son âme au Diable par un acte signé de son propre sang et où l'on participerait à une liturgie type messe noire, laquelle est la copie invertie et subvertie du culte chrétien, allant parfois jusqu'à comprendre un meurtre ou des transgressions sexuelles. Un tel degré de perversion relève de l'ÉTHIQUE, d'un orgueil absurde, au plus bas degré. Ce genre d'état est clandestin, dangereux. C'est la rivalité mimétique de l'autorité divine. Une telle perversion dont le lieu se situe dans l'esprit, dans ce qu'il a de plus noble, rejoint ce que disent les Écritures et la Tradition à propos de Satan. Comment en dire plus ? Le lien entre un esprit humain et une conscience extra-terrestre, ni divine ni humaine, ne supporte qu'une subjectivité approchée pour employer un terme de Bachelard. Ici, la foi, la confiance en Dieu qui est Vie, Bonheur, Bonté, Beauté, Bien, est plus important que le savoir scientifique, philosophique, qui est insaisissable.Veillez et priez, dit Jésus, ce qui en dit long !
Vous parlez de Loudun. Le P. de Certeau a fort bien traité de la question. Je vous renvoie à son ouvrage: Les Possédés de Loudun ainsi qu'à La Fable Mystique.
Les critères de possession, connaissance et parler de langues étrangères, la voyance extralucide, la force herculéenne, ne sont plus aujourd'hui retenus comme ils l'ont été autrefois. Le principal critère est la HAINE, la VIOLENCE aveugle, l'orgueil démentiel de vouloir se constituer comme législateur absolu et néo-créateur, le crime subversif. Le péché contre le Saint-Esprit qui est mensonge à soi-même et qui ne va pas sans la trahison de soi.

Juan Asensio
Vous devez sans doute le constater bien plus évidemment que quiconque, mon Père : il y a actuellement, dans nos sociétés, une vogue d'un satanisme que nous pourrions qualifier de bon-enfant — dessins animés, films, etc. —, qui ne serait qu'amusant s'il n'était, d'abord, fondamentalement dangereux, s'il n'était que la partie visible d'un fond bourbeux : je songe à ses odieux crimes rituels, — le plus célèbre est celui de la compagne de Roman Polanski, Sharon Tate, par le très médiatique Charles Manson —, à ces profanations de sépulture qui naguère ont défrayé la chronique en juin 1996 à Toulon, à l'assassinat d'un prêtre, récemment, en Alsace. Je pourrais encore mentionner, comme signe d'une évidente banalisation du satanisme — voire institutionnalisation — les très célèbres églises anglo-saxonnes, celle dite de Satan d'Anton La Vey, Le Temple de Set fondé par Michael Aquino (lequel rompit avec son maître, La Vey, en 1975), mouvements influencés par une grande figure du satanisme contemporain, Aleister Crowley (1875-1947) qui fréquenta l'Ordre hermétique de la Golden Dawn (fondé en 1888 par deux médecins maçons ), avant de créer, en 1910, l'Ordo Templi Orientis (O.T.O.). Comme le dit l'adage, l'arbre cache la forêt, car, derrière ces grands massif d'un satanisme qui a pignon sur rue, se tapit une pléthore de groupuscules, une confuse nébuleuse d'individus interlopes (à ce sujet, peut-être faut-il remarquer que cette vaporisation du culte de Satan ne fait que mimer — car le Démon n'est que lesinge de Dieu, selon Tertullien — la profusion des sectes d'inspiration plus ou moins catholique). Quelles raisons donner à cette montée en puissance du satanisme ? Faut-il écrire, avec Michel de Certeau (voir son article intitulé L'altérité diabolique, dans la revue Études, mars 1975, p. 409) : «Toujours est-il qu'aujourd'hui une certaine résurgence du satanisme est liée au déclin des idéologies, des philosophies et des religions, c'est-à-dire des grands repères symboliques. La vacuité qui s'ensuit et, partant, la multiplication des militants sans cause constituent une prédisposition pour entendre l'appel de Satan».

Charles Chossonnery
Cette recrudescence est indéniable. À cause du désarroi actuel. Pourquoi ce retour à Satan ? Parce que, pour une par de l'humanité, Satan, qu'il soit figure mythique ou entité mensongère toujours cachée, est intéressant et utile: hélas, c'est un fait !
Face aux échecs scandaleux, au mal polymorphe, face aux énigmes non encore résolues et toujours débattues, face à l'ambiguïté, l'ambivalence, les hommes s'interrogent. La morosité aidant, comme aussi, hélas, la délectation morose, autrement dit l'intérêt porté au sang à la une, fait que beaucoup rejettent un Dieu parfait, juste, bon... Ou bien ils mettent l'origine du mal en Dieu même (Janus à deux têtes), ou bien ils orientent leurs recherches vers un ailleurs..., un substitut, l'anti-Dieu du Judéo-christianisme. Satan alors, qu'il soit traité comme figure mythique ou comme entité entre Dieu et l'homme, peut être pris en considération, voire honoré, voire adoré et pourvu d'une toute-puissance. Il fonctionne alors, et il fait fonctionner la vie... il devient support de rechange... !Quand on n'est pas content de son fournisseur, on s'adresse à son rival d'en face !, c'est ainsi que l'on parle de la beauté du Diable, du Diable dans la musique, du Diable promoteur de la liberté et du progrès, caution de la transgression et de toutes les escapades perverses : pour légitimer une profanation de cimetière, on se réfère au Diable, ce qui donne une certaine noblesse à la transgression et à la perversité. Le Prince de ce monde tel qu'on en parle dans l'Écriture est alors le Prince des bas-fonds du monde.
À propos de l'Église de Satan en Californie, le fondateur auquel vous faites allusion a précisément voulu mettre en valeur un substitut à tout ce qu'il conteste et rejette, Dieu, l'ordre social. Très vite il y eut dans cette Église des dissensions, puis un déclin. Il faut savoir que le principal tenant de cette institution est à 10% un anticonformiste violent et à 90% un père tranquille sachant se couler dans la société! Pour que l'Église de Satan soit reconnue comme Église aux USA, il fallait bien qu'elle respecte l'ordre établi. Habile manœuvre, et cas typique où un beau rôle est donné à Satan, comme pour relever un défi et se faire une place honorable dans l'Histoire.
La recrudescence du satanisme vient du désarroi actuel: elle durera tant que les grandes mutations en cours n'auront pas trouvé leur équilibre, leur homéostasie. Elle est fortement alimentée — comme dans le commerce et le libéralisme — par un besoin de consommation : on veut sortir de la réalité trop prosaïque pour connaître des impressions inédites, fortes, la connaissance de l'inconnu ! Il se trouve que les demandeurs trouvent des offrants... qui fassent de la publicité (il y a alors comme une réversibilité causes-effets). Les médias ont une énorme responsabilité... Immense problème... Que de fausses réponses données à de vraies questions ! Peut-on honorer un désir légitime par n'importe quel substitut ou n'importe quelle illusion ?

Juan Asensio
Ma dernière question va tenter de cerner quelque peu le mystère final auquel toute réflexion chrétienne sur le Mal se trouve confronté, je veux parler de Satan. À vos yeux, mon père, qu'est-ce qui se cache derrière ce nom commun — le satan des Hébreux est un accusateur, comme il apparaît dans le quatrième chapitre de Zacharie — devenu nom propre — ce long et complexe processus de cristallisation par et autour d'un nom est analysé par un bon ouvrage de vulgarisation de Bernard Teyssèdre, La naissance du Diable (Albin Michel, 1985). Faut-il évoquer, à propos du Démon, un symbole ou, beaucoup moins, d'une simple image commodément inventée pour évoquer le mystère d'iniquité dont parle Paul, à moins qu'il ne nous faille nous contenter de cette prudence craintive dont témoigne l'ouvrage de Pascal Thomas (pseudonyme) intitulé Le Diable, oui ou non ?(Centurion, 1989), ou de la non-réponse donnée par certains philosophes à la question de l'existence du Diable (voir par exemple l'article d'Antoine Vergote intitulé Anthropologie du diable : l'homme séduit et en proie aux puissances ténébreusesFigures du Démoniaque hier et aujourd'hui, Facultés universitaires de Louvain, Bruxelles, 1992) ? Faut-il même, à l'exemple de l'ouvrage de Herbert Haag intitulé Liquidation du Diable (DDB, coll. Méditations théologiques, 1971), affirmer la caducité théologique du Mauvais en écrivant, par exemple: Satan est la personnification du mal, du péché. A chaque passage du Nouveau Testament où survient Satan ou le diable, nous pourrions tout aussi bien mettre à la place le péché ou le mal. La personnification sert seulement à rendre plus clair et plus impressionnant ce dont il s'agit (op. cit., p.66). D'ailleurs, cette dernière phrase soulève la difficulté, redoutable pour celui qui essaie de concevoir ce que pourrait être une personne du Diable, de forger des outils de langage capables de rendre compte de l'innommable et de l'ireprésentable : faut-il parler, avec le cardinal Joseph Ratzinger, (voir l'extrait de son article paru dans la revue Christus, n° 168, octobre 1995) d'une “non-personne” du Démon, se caractérisant par les qualités adverses et opposées à celles qui président à l'instauration de la personne (le partage, la communication, le don, l'amour, etc.) ? Faut-il, avec Jean-Luc Marion (dans son superbe article intitulé Le Mal en personne, qui demeure, à mon sens, l'effort le plus soutenu d'un philosophe qui pense le Mal dans sa logique délétère, Prolégomènes à la Charité, La Différence), tenter d'évoquer le paradoxe absolu d'une accrétion de la matière mauvaise autour du noyau absent d'une personne qui serait, bien que vide ontologique, une entité angéliquement perverse, indéfinissable et inconnaissable pour la seule raison, un peu comme le titre d'une nouvelle de Joseph Conrad le donne à voir, Cœur des Ténèbres, qui par son oxymore concilie chair et mal ?

Charles Chossonnery
Prêtre catholique, je fais crédit à la Révélation biblique et à la Tradition chrétienne qui donnent des noms (Satan, Démon, Diable) à l'Adversaire de Dieu, à celui de l'Homme, à celui de l'ordre du monde. En cela l'une et l'autre laissent entendre qu'il n'y a pas d'effets sans causes, que le mal suppose un malin, la perversion un pervers, etc. C'est laisser entendre qu'une intelligence (même si elle n'est pas définie avec précision) d'ordre angélique (même si un flou caractérise la notion d'ange), pense, prémédite, organise le mal sous toutes ses formes. Ceci dit, dans la fidélité et le respect de la Révélation et de la Tradition, il faut constater que la métaphore est employée chez les croyants comme chez les incroyants: quand Jésus dit à saint Pierre, Retire-toi, Satan, il emploie cette métaphore, puisque, en toute rigueur épistémologique, saint Pierre n'est évidemment pas le démon !
Affirmer l'existence de Satan comme entité relève de la FOI. Celle-ci n'est pas une connaissance, un savoir absolu. La foi est créance à une Parole donnée par une autorité qui est de l'ordre de la Transcendance. Elle n'est pas la gnose qui est recherche acharnée du fin fond du réel ! Or, ce fin fond est insaisissable, et les réponses données, dans leur multiplicité, ne résolvent pas l'énigme du mal par quelque formule ou équation. Quand on a admis la limite de la recherche scientifique et philosophique, est-ce que la foi nous permet d'aller plus loin que la science exacte ou la philosophie ? Je dis ceci : il n'est pas irrationnel de penser que le mal, que la décréation poussés à leur paroxysme émanent non pas seulement des forces cosmiques ou d'états psychologiques. Il n'est pas irrationnel d'admettre qu'une intelligence, non réductible à la personne humaine, mais se situant ENTRE, dans ce quelque part hors de nos catégories de représentation, soit responsable de tous les dégâts que nous constatons expérimentalement.
source: www.juanasensio.com

Crédits photographiques : Pat Roque (AP Photo).

«Le progrès fait des porte-monnaie de peau humaine.»
Karl Kraus, Pro Domo et Mundo.


Après tout, j'aurais quelque malhonnêteté, puisque j'affirme qu'il faut rendre aux mots leur signification véritable, de ne pas appeler un chat un chat ou, moins prosaïquement, de prétendre que le Mal n'est rien de plus qu'une dommageable moisissure dont un simple désinfectant nous débarrassera à coup sûr, idée ridicule dans laquelle les apôtres du Progrès macèrent depuis des lustres, sans qu'aucun déchaînement d'horreur ne puisse venir, semble-t-il, à bout de leur optimisme béat. Dès lors, il faut bien donner à ce Mal une origine et éviter de prétendre, comme le font nos philosophes (et bien sûr beaucoup, de plus en plus de nos prêtres), qu'il n'est rien de plus qu'un défaut sur la toile provenant du fait que nous, pauvres observateurs, n'avons pas pris suffisamment de recul pour contempler le chef-d’œuvre dans son harmonie. Le problème, mais il est de taille, c'est que je suis de plus en plus certain que ceux-là mêmes qui devraient être assurés de l'existence d'une conscience surnaturellement et tout entière mauvaise ne sont absolument plus certains qu'elle existe, que le démon existe... Il est vrai que nombre de nos prélats auraient quelque difficulté à croire à Satan puisqu'ils ont depuis belle lurette admis que Dieu avait la figure d'un vieux grison pétri de culture démocratico-humanitaire...
Voici en tout cas un entretien que j'eus avec le Père Charles Chossonnery, alors exorciste du diocèse de Lyon, dont je ne sais aujourd'hui plus rien. Me hante encore son malicieux regard d'un bleu délavé qu'il me décochait quand, dans notre dialogue, je tentai de lui faire dire que, finalement, malgré ou peut-être à cause de tout ce qu'il avait vu de ses propres yeux, il ne croyait plus guère à l'ami qui, comme Bernanos l'écrit, ne reste jamais jusqu'à la fin...
Je ne cesse de penser, aussi, plutôt qu'au film de Friedkin où l'on voit tout de même un homme à la foi vacillante donner sa vie pour sauver l'innocente possédée, au mystérieux récit du grand Gustaw Herling sur le thème des voies retorses que le Mal emprunte pour châtier les prétentieux... Il faut d'ailleurs lire et relire, à ce sujet difficile, le remarquable entretien que Herling accorda à Edith de la Héronnière sur la question du Mal et de ses liens avec la littérature dans Variations sur les ténèbres...

Voici, donc, cet entretien.

«L'innommable du mal dessine à jamais le champ dans lequel la pensée ne pourra pas s'arrêter de penser.»
Yves Ledure, L'impossible figuration du Mal, in Le Mal et le Diable. Leurs figures à la fin du Moyen Age (Beauchesne, coll. Culture et Christianisme, n°4, 1997), p. 266.


Je publie ici les réponses à quelques questions auxquelles, naguère, le Père Chossonnery prit, avec une très grande amabilité et patience, le temps de répondre. Ayant égaré l'original de ces questions, elles ont toutes été réécrites de mémoire. Que le Père Chossonnery veuille excuser par avance, les inévitables différences qu'il constatera entre l'original du questionnaire qu'il a lu et cette version publiée; cependant, je pense que l'esprit de mes questions a été respecté, l'essentiel donc.

Juan Asensio
Et, tout d'abord, Père, dans cette première question qui concerne votre ministère, celui de l'exorcistat, — un parmi les quatre mineurs conférés aux prêtres —, un très rapide pointage historique. Les exorcismes, on le sait, ont d'abord été pratiqués par le Christ, certain épisode célèbre, comme celui des pourceaux de Gérasa (cf. Mc 5, 1-20; Mt 8, 28-34; Lc 8, 26-39) en témoigne; par les apôtres aussi, qui, tout comme le Christ, distinguent parfaitement les deux pouvoirs, celui de l'exorcisme et celui de la guérison des maladies — cette précision, pour les tenanciers d'une réduction du phénomène de possession à celui de maladie. Immédiatement, on comprend que l'exorcisme est avant tout une praxis plus qu'une connaissance purement théorique, peut-être non exempte de quelque complaisance intellectuelle. Très vite, l'exorcisme devient lamarque de fabrique de la très jeune Église: Justin Martyr, au IIe siècle, écrit dans son Dialogue avec Tryphon (85, 3) que l'expulsion du Démon est pratiquée par la seule profération du nom du Christ, sous la forme de l'adjuration reprise du symbole de foi Au nom de Jésus-Christ crucifié sous ponce Pilate : Si vous adjurez [exorkizête] les démons au nom de n'importe lequel des rois [...], ils ne se soumettent pas. Si, au contraire, l'un de vous l'adjure au nom du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du Dieu de Jacob, il se soumettra [...]. Saint Irénée (Adversus Haereses, 2, 6, 2), puis Tertullien (Apologeticum, 23, 4) attestent à leur tour cette puissance du Nom, tandis que le rituel de l'exorcisme s'enrichit de nouveaux gestes, comme celui de l'imposition des mains, de l'exsufflation ou de l'onction avec de l'huile. Très tôt également, on relève l'importance du jeûne. De plus, il ne faut pas oublier qu'à cette époque révolue, le baptême était déjà par lui-même un rituel d'exorcisme élaboré (cf. Cyrille de Jérusalem, Procatechesis, 9), alors que de nos jours celui-ci a presque totalement disparu, étant de plus considéré comme facultatif. A l'origine, le don d'exorcisme est parfaitement charismatique; il n'est ni une fonction, ni un titre, surtout pas une dignité ecclésiastique. Il faut attendre le concile de Laodicée (vers 360), pour qu'apparaisse le premier témoignage d'un statut spécifique des exorcistes. Ensuite, le Rituel Romain (1614) a codifiél'exercice très particulier et périlleux de l'exorcisme; resté tel quel jusqu'à une date récente, ce rituel a subi quelques petites modifications en 1926 et en 1952. Enfin, depuis 1990, un nouveau rituel est expérimenté, en toute discrétion, par les prêtres; il est appelé Rituel ad Interim. La tendance générale, nettement précipitée depuis le XIXe siècle, on le constate, est donc à la réduction du rituel de l'exorcisme. Quelle est votre position sur ce point, Père ?

Charles Chossonnery
Ce ministère a son sens, sa référence, sa légitimité en Jésus-Christ. Il importe de recadrer et d'interpréter ce ministère actuel. Il est inséré dans une tradition. Et toute tradition digne de ce nom n'est pas un fixisme répétitif mais une vitalité évolutive qui tisse une histoire. Le ministère actuel ne saurait donc être copie conforme des gestes du Christ mais il s'inspire et découle de l'action, de la parole d'autorité de Jésus-Christ et des pratiques des premiers chrétiens. Hier comme aujourd'hui, l'exorcisme est livré au Baptême. Au Baptême, solennellement, on fait profession de foi en Jésus-Christ, au Père, à l'Esprit Saint. On choisit. Donc aussi on élimine. C'est le mal et l'auteur du mal qui est éliminé, solennellement: d'où l'étymologie du mot exorcisme que vous soulignez à juste titre. Il s'agit bien d'une adjuration venant de l'autorité divine. Aux premiers temps de l'Église, cette pratique allait de soi. Les chrétiens, dans la foulée du premier Testament et surtout suite à la mort et à la Résurrection de Jésus-Christ, vainqueur du péché, du mal et de la mort, ont réussi à se démarquer des croyances polythéistes, superstitieuses, magiques, en condensant la victoire du Christ sur un seul opposant : Satan, le Diable. L'existence de Satan comme obstacle pervers à Dieu, à l'homme, au cosmos, allait de soi. Et cela est attesté par de nombreux textes. Mais tôt ou tard ce qui va de soi se retrouve mais en question par l'évolution de la vie et les influences et pressions extérieures.
C'est ainsi que l'Église a dû préciser et sa doctrine et ses pratiques. En dehors de l'Église l'on continuait à donner une trop grande place à Satan. C'est donc à l'occasion de déviances que l'Église redonne son identité: cette première intervention est relativement tardive, d'ailleurs, et locale, elle s'est faite au concile de Braga (Portugal) en 563. L'autre déclaration importante a été faite au IVeconcile de Latran en 1215. Les ouvrages Satan de Georges Tavard (Desclée Novalis) et Le Diable, oui ou non de Pascal Thomas (Centurion) donnent ces indications.
Ces positions prises par l'Église sont motivées par la doctrine manichéiste qui faisait de Satan le symétrique de Dieu. Satan n'est pas principe, ni créateur, mais créature sur qui Dieu a pouvoir. Hélas, il existe toujours certains relents manichéistes !
Les rituels codifiés d'exorcisme, comme vous le signalez, arrivent donc bien après ces positions officielles. Et les rituels, l'histoire le dit — et Vatican II l'a bien montré — ne sont pas éternels. Le rituel en préparation, non encore publié officiellement, n'est pas une réduction des anciens rituels. Je le redis encore : une nouvelle formulation montre que la vie ne peut pas être un automatisme de répétition. On ne peut plus parler du transport comme au temps de la diligence. Attention aux arrière-pensées des fixistes ! Aujourd'hui, officiellement, il est demandé aux prêtres exorcistes d'être en contact avec la médecine et la pensée moderne. S'il en était autrement, que serait le DIALOGUE officiellement pratiqué ?

Juan Asensio
Nombre de nos lecteurs, j'en suis certain, ont à l'esprit certaine scènes éprouvantes de rituels d'exorcisme, tels qu'un film comme L'Exorciste, adapté du roman de William Peter Blatty, a pu les populariser. Il y a là, bien évidemment, une nette volonté de frapper les imaginations; cependant, la simple lecture de l'ouvrage que le Père Joseph Surin — qui fut l'exorciste officiel du célèbre couvent des Ursulines de Loudun, et plus particulièrement de Mère Jeanne des Anges — rédigea au soir de sa vie donne des frissons (Triomphe de l'Amour divin sur les puissances de l'Enfer, Jérôme Millon, coll. Atopia, 1990). Rappelons que le Père Surin, considéré par Malley comme l'homme peut-être le plus mystique du XVIIe siècle, sombra dans un déséquilibre mental, à la suite de ses exorcismes, qui jamais toutefois ne lui ôta l'usage de sa raison: il fut interné pendant vingt ans dans le cachot d'une infirmerie, au collège de Bordeaux. Avant que vous ne nous décriviez, mon Père, les modes d'infestation diabolique, détaillons pour nos lecteurs ce que dit le Rituel Romain sur la possession. Tout d'abord, la première consigne donnée à l'exorciste est qu'il ne croie pas facilement à la possession (In primis ne facile credat aliquem a daemonis obsessum esse); la deuxième, que l'exorciste sache quels signes distinguent le possédé de personnes tourmentées par la mélancolie, l'hystérie, l'épilepsie ou toutes autres formes de névroses (Nota habeat ea signa quibus obsessus dignoscitur ab iis qui vel atrabile, vel morbo aliquo laborant); la troisième, sans doute la plus connue du grand public, qui indique trois signes particuliers de la possession : signa autem obsidentis daemonis sunt : 1 — ignota ligna loqui pluribus verbis, vel loquentem intelligere; 2 —distantia et occulta patefacere; 3 — vires supra aetatis seu conditionis naturam ostendere. En bonne traduction française, ces trois signes sont donc : 1 — l'usage ou l'intelligence d'une langue inconnue; 2 — la connaissance de faits distants ou cachés; 3 — enfin, la manifestation d'une force physique dépassant l'âge ou la condition du sujet.

Charles Chossonnery
En union avec les exorcistes (car nous nous rencontrons et échangeons), je rencontre beaucoup de personnes qui se dirent possédées, donc privées de leur autonomie par Satan ou un mauvais esprit. Je dis: attention à la surenchère et au simplisme. Il convient d'examiner d'abord si celui qui se dit VICTIME est totalement INNOCENT... Ne peut-on pas ainsi, même si l'on est victime, devenir COMPLICE et même sympathisant du mal et des ses auteurs ? Ne peut-on pas encore, dans un genre de contre-attaque ou de vengeance, devenir AGENT et ACTEUR qui pense, projette, prémédite, exécute une riposte de même nature que celle du mal subi ?
Par analogie avec l'échelle de Richter, il convient de mesurer la gradation des dégâts:
— Ce mal attribué à un agent extra-terrestre, le démon de La Bible et de la Tradition chrétienne ou à un mauvais esprit, n'est-il pas la manifestation de la partie ténébreuse de moi-même ? Saint Paul (Épître aux Romains, 7, 14 et sq.) déplore ne pas pouvoir faire le bien qu'il veut et faire le mal qu'il ne veut pas.
— Ce mal qui m'aliène ne vient-il pas d'un proche, d'un voisin, d'un autre qui a bien les pieds sur terre, avec qui je suis en conflit, ayant mes propres torts ?
— Ce mal ne vient-il pas de l'influence acceptée (et non rejetée) d'un lobby, d'une mafia, d'un snobisme de bas-fonds ?
— Ce mal dépasse-t-il les limites de la perversion humaine connue ? Les tristes exemples d'auteurs de génocides, de tueurs à répétition, de tous ceux qui s'identifient aux législateurs absolus, capables de vouloir DÉCRÉER pour refaire un autre monde qu'ils veulent gérer font-ils tout ce mal d'eux-mêmes, ou se réfèrent-ils à Satan, tel que le désigne La Bible et la Tradition chrétienne ? La question se pose et se posera toujours.
En d'autres termes, termes, on peut dire que l'expression possédé(e) du démon, avant d'être employée avec prudence (parce qu'il met plusieurs réalités différentes à la même enseigne), exige de nombreuses distinctions. Affirmer que l'on n'est plus soi-même relève de différentes situations que l'on peut présenter ainsi:
A — L'Influence
En famille, en société, de par l'histoire et l'historicité, l'environnement, tout être humain subit des influences plus ou moins fortes, superficielles (la mode) ou profondes, état qui oriente plus ou moins vers l'idolâtrie.
B — La Séduction
Qui est toujours artificielle, mensongère, voire théâtrale. C'est le poisson qui mord à l'hameçon, au leurre, au mirage. On trompe par flatterie : Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau. On trompe par l'épouvante, par l'effarouchement qui fragilise, terrorise et diminue jusqu'à l'évacuation du goût et de la raison de vivre. Dire, avec le masque déformant d'une autorité abusive et non fondée : Tu n'es bon à rien. Tu échoueras. Je t'ai à l’œil, est une action assassine. Toute menace abusive et théâtrale est homicide.
On trompe avec le vrai: triste et suprême habilité qui consiste à suréclairer un aspect de la vérité et de laisser dans l'obscurité ses autres aspects. Ce procédé est attesté dans l'Évangile : le démon tente Jésus à partir de l'ÉCRITURE ! C'est ainsi que saint Paul pouvait dire que Satan est ange de lumière. Comme l'ambiguïté est une composante du réel, il est facile, par ruse, de trafiquern'importe quoi.
C — L'Accaparement
L'occupation du champ de la conscience par un malaise, un manque, une défection, etc. Ceci conduit à l'obsession, à l'idée fixe, lancinante... et donc à la maladie.
D — L'Infestation
Qui est présence d'un virus d'ordre psychologique ou éthique : cet état est du ressort des habitudes, de l'habitus, du péché plus ou moins grave. C'est garder le ver dans le fruit.
E — L'état second
Constaté surtout suite à des expériences présomptueuses de spiritisme. Cet état qui part d'une avidité de faire des exploits ou des prouesses peut aller jusqu'à la volonté de franchir les limites du réel connu (par exemple, le dialogue avec les défunts) et conduire à la GNOSE : la connaissance ABSOLUE... Or, peut-on saisir l'insaisissable ? Une expérience d'état second, une modification d'état de conscience (drogue, manipulation mentale, lavage de cerveau) laissent traces et séquelles longues à se résorber.
F — L'Incorporation
... dont on parle beaucoup, et pas toujours selon la sagesse et la rigueur scientifiques ! Des auteurs sérieux (ainsi Anne Ancelin-Schützenberger dans Aïe mes aïeux ! parlant de fantômes, d'impression d'être habité par un autre) méritent une analyse: je cite, Ce ne sont pas les trépassés qui viennent nous hanter mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres (L'Écorce et le Noyaud'Abraham Nicolas et Török Marie, Aubier Flammarion, p. 429) Peut-être y a-t-il aussi dans cette prétendue incorporation un certain attrait pour la métamorphose...
G — La Possession
Qui elle aussi a son échelle de Richter :
— Il se peut qu'un jour de découragement (prières non exaucées), que quelqu'un, par dépit ou colère, se tourne vers Satan... comme l'on change de fournisseur lorsqu'il n'a pas donné satisfaction. Cette attitude peut engendre un trouble et une culpabilisation : pourquoi ? Parce que appeler et invoquer c'est, d'une certaine manière, donner une consistance, une impression de réalité. Comme le dit l'adage : Il suffit d'y croire pour que ce soit vrai... En réalité, le démon n'est pas venu pour autant, automatiquement. Mais l'appel déviant a créé dans la subjectivité une impression illusoire : il faut s'en dégager par le sacrement de réconciliation.
— Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es. Si l'on fréquente un sujet pervers, si l'on mise d'une façon ou d'une autre sur les capacités de l'Ennemi de Dieu, il s'ensuit toujours un malaise.
— Vient après la cas où l'on vendrait son âme au Diable par un acte signé de son propre sang et où l'on participerait à une liturgie type messe noire, laquelle est la copie invertie et subvertie du culte chrétien, allant parfois jusqu'à comprendre un meurtre ou des transgressions sexuelles. Un tel degré de perversion relève de l'ÉTHIQUE, d'un orgueil absurde, au plus bas degré. Ce genre d'état est clandestin, dangereux. C'est la rivalité mimétique de l'autorité divine. Une telle perversion dont le lieu se situe dans l'esprit, dans ce qu'il a de plus noble, rejoint ce que disent les Écritures et la Tradition à propos de Satan. Comment en dire plus ? Le lien entre un esprit humain et une conscience extra-terrestre, ni divine ni humaine, ne supporte qu'une subjectivité approchée pour employer un terme de Bachelard. Ici, la foi, la confiance en Dieu qui est Vie, Bonheur, Bonté, Beauté, Bien, est plus important que le savoir scientifique, philosophique, qui est insaisissable.Veillez et priez, dit Jésus, ce qui en dit long !
Vous parlez de Loudun. Le P. de Certeau a fort bien traité de la question. Je vous renvoie à son ouvrage: Les Possédés de Loudun ainsi qu'à La Fable Mystique.
Les critères de possession, connaissance et parler de langues étrangères, la voyance extralucide, la force herculéenne, ne sont plus aujourd'hui retenus comme ils l'ont été autrefois. Le principal critère est la HAINE, la VIOLENCE aveugle, l'orgueil démentiel de vouloir se constituer comme législateur absolu et néo-créateur, le crime subversif. Le péché contre le Saint-Esprit qui est mensonge à soi-même et qui ne va pas sans la trahison de soi.

Juan Asensio
Vous devez sans doute le constater bien plus évidemment que quiconque, mon Père : il y a actuellement, dans nos sociétés, une vogue d'un satanisme que nous pourrions qualifier de bon-enfant — dessins animés, films, etc. —, qui ne serait qu'amusant s'il n'était, d'abord, fondamentalement dangereux, s'il n'était que la partie visible d'un fond bourbeux : je songe à ses odieux crimes rituels, — le plus célèbre est celui de la compagne de Roman Polanski, Sharon Tate, par le très médiatique Charles Manson —, à ces profanations de sépulture qui naguère ont défrayé la chronique en juin 1996 à Toulon, à l'assassinat d'un prêtre, récemment, en Alsace. Je pourrais encore mentionner, comme signe d'une évidente banalisation du satanisme — voire institutionnalisation — les très célèbres églises anglo-saxonnes, celle dite de Satan d'Anton La Vey, Le Temple de Set fondé par Michael Aquino (lequel rompit avec son maître, La Vey, en 1975), mouvements influencés par une grande figure du satanisme contemporain, Aleister Crowley (1875-1947) qui fréquenta l'Ordre hermétique de la Golden Dawn (fondé en 1888 par deux médecins maçons ), avant de créer, en 1910, l'Ordo Templi Orientis (O.T.O.). Comme le dit l'adage, l'arbre cache la forêt, car, derrière ces grands massif d'un satanisme qui a pignon sur rue, se tapit une pléthore de groupuscules, une confuse nébuleuse d'individus interlopes (à ce sujet, peut-être faut-il remarquer que cette vaporisation du culte de Satan ne fait que mimer — car le Démon n'est que lesinge de Dieu, selon Tertullien — la profusion des sectes d'inspiration plus ou moins catholique). Quelles raisons donner à cette montée en puissance du satanisme ? Faut-il écrire, avec Michel de Certeau (voir son article intitulé L'altérité diabolique, dans la revue Études, mars 1975, p. 409) : «Toujours est-il qu'aujourd'hui une certaine résurgence du satanisme est liée au déclin des idéologies, des philosophies et des religions, c'est-à-dire des grands repères symboliques. La vacuité qui s'ensuit et, partant, la multiplication des militants sans cause constituent une prédisposition pour entendre l'appel de Satan».

Charles Chossonnery
Cette recrudescence est indéniable. À cause du désarroi actuel. Pourquoi ce retour à Satan ? Parce que, pour une par de l'humanité, Satan, qu'il soit figure mythique ou entité mensongère toujours cachée, est intéressant et utile: hélas, c'est un fait !
Face aux échecs scandaleux, au mal polymorphe, face aux énigmes non encore résolues et toujours débattues, face à l'ambiguïté, l'ambivalence, les hommes s'interrogent. La morosité aidant, comme aussi, hélas, la délectation morose, autrement dit l'intérêt porté au sang à la une, fait que beaucoup rejettent un Dieu parfait, juste, bon... Ou bien ils mettent l'origine du mal en Dieu même (Janus à deux têtes), ou bien ils orientent leurs recherches vers un ailleurs..., un substitut, l'anti-Dieu du Judéo-christianisme. Satan alors, qu'il soit traité comme figure mythique ou comme entité entre Dieu et l'homme, peut être pris en considération, voire honoré, voire adoré et pourvu d'une toute-puissance. Il fonctionne alors, et il fait fonctionner la vie... il devient support de rechange... !Quand on n'est pas content de son fournisseur, on s'adresse à son rival d'en face !, c'est ainsi que l'on parle de la beauté du Diable, du Diable dans la musique, du Diable promoteur de la liberté et du progrès, caution de la transgression et de toutes les escapades perverses : pour légitimer une profanation de cimetière, on se réfère au Diable, ce qui donne une certaine noblesse à la transgression et à la perversité. Le Prince de ce monde tel qu'on en parle dans l'Écriture est alors le Prince des bas-fonds du monde.
À propos de l'Église de Satan en Californie, le fondateur auquel vous faites allusion a précisément voulu mettre en valeur un substitut à tout ce qu'il conteste et rejette, Dieu, l'ordre social. Très vite il y eut dans cette Église des dissensions, puis un déclin. Il faut savoir que le principal tenant de cette institution est à 10% un anticonformiste violent et à 90% un père tranquille sachant se couler dans la société! Pour que l'Église de Satan soit reconnue comme Église aux USA, il fallait bien qu'elle respecte l'ordre établi. Habile manœuvre, et cas typique où un beau rôle est donné à Satan, comme pour relever un défi et se faire une place honorable dans l'Histoire.
La recrudescence du satanisme vient du désarroi actuel: elle durera tant que les grandes mutations en cours n'auront pas trouvé leur équilibre, leur homéostasie. Elle est fortement alimentée — comme dans le commerce et le libéralisme — par un besoin de consommation : on veut sortir de la réalité trop prosaïque pour connaître des impressions inédites, fortes, la connaissance de l'inconnu ! Il se trouve que les demandeurs trouvent des offrants... qui fassent de la publicité (il y a alors comme une réversibilité causes-effets). Les médias ont une énorme responsabilité... Immense problème... Que de fausses réponses données à de vraies questions ! Peut-on honorer un désir légitime par n'importe quel substitut ou n'importe quelle illusion ?

Juan Asensio
Ma dernière question va tenter de cerner quelque peu le mystère final auquel toute réflexion chrétienne sur le Mal se trouve confronté, je veux parler de Satan. À vos yeux, mon père, qu'est-ce qui se cache derrière ce nom commun — le satan des Hébreux est un accusateur, comme il apparaît dans le quatrième chapitre de Zacharie — devenu nom propre — ce long et complexe processus de cristallisation par et autour d'un nom est analysé par un bon ouvrage de vulgarisation de Bernard Teyssèdre, La naissance du Diable (Albin Michel, 1985). Faut-il évoquer, à propos du Démon, un symbole ou, beaucoup moins, d'une simple image commodément inventée pour évoquer le mystère d'iniquité dont parle Paul, à moins qu'il ne nous faille nous contenter de cette prudence craintive dont témoigne l'ouvrage de Pascal Thomas (pseudonyme) intitulé Le Diable, oui ou non ?(Centurion, 1989), ou de la non-réponse donnée par certains philosophes à la question de l'existence du Diable (voir par exemple l'article d'Antoine Vergote intitulé Anthropologie du diable : l'homme séduit et en proie aux puissances ténébreusesFigures du Démoniaque hier et aujourd'hui, Facultés universitaires de Louvain, Bruxelles, 1992) ? Faut-il même, à l'exemple de l'ouvrage de Herbert Haag intitulé Liquidation du Diable (DDB, coll. Méditations théologiques, 1971), affirmer la caducité théologique du Mauvais en écrivant, par exemple: Satan est la personnification du mal, du péché. A chaque passage du Nouveau Testament où survient Satan ou le diable, nous pourrions tout aussi bien mettre à la place le péché ou le mal. La personnification sert seulement à rendre plus clair et plus impressionnant ce dont il s'agit (op. cit., p.66). D'ailleurs, cette dernière phrase soulève la difficulté, redoutable pour celui qui essaie de concevoir ce que pourrait être une personne du Diable, de forger des outils de langage capables de rendre compte de l'innommable et de l'ireprésentable : faut-il parler, avec le cardinal Joseph Ratzinger, (voir l'extrait de son article paru dans la revue Christus, n° 168, octobre 1995) d'une “non-personne” du Démon, se caractérisant par les qualités adverses et opposées à celles qui président à l'instauration de la personne (le partage, la communication, le don, l'amour, etc.) ? Faut-il, avec Jean-Luc Marion (dans son superbe article intitulé Le Mal en personne, qui demeure, à mon sens, l'effort le plus soutenu d'un philosophe qui pense le Mal dans sa logique délétère, Prolégomènes à la Charité, La Différence), tenter d'évoquer le paradoxe absolu d'une accrétion de la matière mauvaise autour du noyau absent d'une personne qui serait, bien que vide ontologique, une entité angéliquement perverse, indéfinissable et inconnaissable pour la seule raison, un peu comme le titre d'une nouvelle de Joseph Conrad le donne à voir, Cœur des Ténèbres, qui par son oxymore concilie chair et mal ?

Charles Chossonnery
Prêtre catholique, je fais crédit à la Révélation biblique et à la Tradition chrétienne qui donnent des noms (Satan, Démon, Diable) à l'Adversaire de Dieu, à celui de l'Homme, à celui de l'ordre du monde. En cela l'une et l'autre laissent entendre qu'il n'y a pas d'effets sans causes, que le mal suppose un malin, la perversion un pervers, etc. C'est laisser entendre qu'une intelligence (même si elle n'est pas définie avec précision) d'ordre angélique (même si un flou caractérise la notion d'ange), pense, prémédite, organise le mal sous toutes ses formes. Ceci dit, dans la fidélité et le respect de la Révélation et de la Tradition, il faut constater que la métaphore est employée chez les croyants comme chez les incroyants: quand Jésus dit à saint Pierre, Retire-toi, Satan, il emploie cette métaphore, puisque, en toute rigueur épistémologique, saint Pierre n'est évidemment pas le démon !
Affirmer l'existence de Satan comme entité relève de la FOI. Celle-ci n'est pas une connaissance, un savoir absolu. La foi est créance à une Parole donnée par une autorité qui est de l'ordre de la Transcendance. Elle n'est pas la gnose qui est recherche acharnée du fin fond du réel ! Or, ce fin fond est insaisissable, et les réponses données, dans leur multiplicité, ne résolvent pas l'énigme du mal par quelque formule ou équation. Quand on a admis la limite de la recherche scientifique et philosophique, est-ce que la foi nous permet d'aller plus loin que la science exacte ou la philosophie ? Je dis ceci : il n'est pas irrationnel de penser que le mal, que la décréation poussés à leur paroxysme émanent non pas seulement des forces cosmiques ou d'états psychologiques. Il n'est pas irrationnel d'admettre qu'une intelligence, non réductible à la personne humaine, mais se situant ENTRE, dans ce quelque part hors de nos catégories de représentation, soit responsable de tous les dégâts que nous constatons expérimentalement.
source: www.juanasensio.com

L'Église lance un magazine sur l'exorcisme

L'Église lance un magazine sur l'exorcisme

L'Église lance un magazine sur l'exorcisme

Des prêtres catholiques polonais, surfant sur la vague de l'engouement pour l'exorcisme, se sont alliés à un éditeur pour lancer un mensuel consacré exclusivement à la chasse du démon.

 
Le premier numéro du magazine Egzorcysta, qui comporte 62 pages, est publié par l'éditeur Polwen à 15 000 exemplaires et vendu 10 zloty (2,44 euros). Ses articles s'intitulent notamment «Satan est réel» et «New Age - l'aspirateur spirituel». «L'accroissement du nombre des exorcistes en Pologne, qui est passé de quatre à plus de 120 en 15 ans, est éloquent», a déclaré le Père Aleksander Posacki, professeur de philosophie, théologie, démonologue et exorciste, lors d'une conférence de presse lundi à Varsovie, pour le lancement du mensuel. Ironiquement, il a attribué l'augmentation des possessions démoniaques dans l'un des pays les plus catholiques d'Europe au changement du communisme athée au capitalisme de marché en 1989.
«C'est dû indirectement au changement de système: le capitalisme crée plus d'opportunités pour faire des affaires dans le domaine de l'occultisme. Prédire l'avenir est même devenu une catégorie d'emploi pour le fisc», a déclaré le père Posacki. «Si les gens peuvent faire de l'argent avec ça, bien sûr que ça va prospérer et les dégâts spirituels vont également progresser», a-t-il dit, en se dépêchant d'ajouter qu'un exorcisme authentique était absolument gratuit.

Impuissance des psychologues


Le prêtre, qui siège aussi dans une commission internationale d'experts exorcistes de l’Église catholique, a souligné «l'impuissance des différentes écoles de psychologie et de psychiatrie» quand elles sont confrontées à des comportements extrêmes que les thérapies conventionnelles ne parviennent pas à guérir. «La possession est ce qui résulte du fait de commettre le mal. Voler, tuer et d'autres péchés», a-t-il déclaré aux journalistes, ajoutant que les démons sont chassés en suivant un protocole de prières rituelles qui ont été approuvées en 1999 par le pape d'origine polonaise Jean-Paul II.
Un autre prêtre exorciste, le père Andrzej Grefkowicz, a révélé que les exorcistes étaient très sollicités, avec une liste d'attente de trois mois à Varsovie. D'après lui, les prêtres exerçant l'exorcisme travaillent avec des psychiatres afin de ne pas confondre une maladie mentale avec une possession. «J'invite des psychiatres à des réunions quand j'ai des doutes à propos d'un cas, et souvent nous concluons tous les deux qu'il s'agit d'une maladie mentale, d'une hystérie, et non d'une possession», selon le père Grefkowicz.
(L'essentiel Online/AFP)

Diagnostiquer un possédé

Diagnostiquer un possédé

Depuis
maintenant plusieurs siècles, les prêtres exorcistes utilisent
plusieurs techniques permettant de définir un véritable cas de
possession. Les plus connues sont que la personne rejette avec haine et
violence tout ce qui peut se rapporter à Dieu et particulièrement la
Sainte Vierge, Marie, mère de Jésus, et éternelle ennemie de Satan.
Avoir une véritable aversion envers tout ce qui est religieux est un
indice très révélateur face à une présence démoniaque. Devant une icône
de la Vierge Marie, les vrais possédés sont souvent pris de convulsions,
leurs visages se tordent et se déforment et ils en viennent à lancer
constamment un flot d’insultes blasphématoires.



Un moyen aussi très efficace pour reconnaitre un possédé est la
connaissance soudaine d’une ou plusieurs langues ou dialectes que la
personne n’a jamais appris. Aussi, le fait d’avoir ses forces subitement
décuplées et la capacité de prédire les événements à venir sont des
signes très nets d’un cas de possession. Un seul de ces signes suffit
généralement à comprendre que l’individu est possédé, il n’est pas
obligatoire, et heureusement, de les cumuler. D’autres prêtres utilisent
aussi une petite technique relativement simple, qui est, en présence de
la personne soit disant possédée, de prononcer à voix très basse et en
latin plusieurs récits, certains en rapport avec un rituel d’exorcisme
et d’autres non. Si au moment de réciter les paroles en rapport avec le
rituel d’exorcisme, la personne est prise de maux violents, de
convulsions ou de paroles blasphématoires, nous pouvons également
conclure à un cas de possession. A l’inverse si aucune réaction n’est
constatée, il est évident que nous avons affaire à une personne
affabulatrice, dont le problème et bien ailleurs !



En règle générale, les femmes sont plus touchées par de réels cas de
possession diabolique que les hommes. Les explications qui sont en
général données pour expliquer ce phénomène est que les femmes ont plus
souvent recours aux services de marabouts ou autres sorciers pratiquant
la magie noire, pour tenter de régler les problèmes qu’elles viennent à
rencontrer au cours de leur vie. Ces pratiques occultes, qui
délibérément, font appel aux démons pour faire du tort à une personne
avec laquelle nous sommes en litige par exemple, sont de véritables
portes grandes ouvertes aux esprits malsains pour venir vous tourmenter.
Mais là n’est pas l’entière et unique explication à l’intrusion dans
votre corps d’un esprit malsain. Il est aussi parfois expliqué par le
fait d’avoir commis des péchés dont nous nous remettons difficilement,
et qui peuvent offrir une porte d’entrée au diable. Fort heureusement,
vous ne risquez pas la possession à chaque fois que vous péchez, ou que
vous vous adonnez à des pratiques occultes. Sachant que dans la plupart
des cas de possessions, la cause est parfois difficile voir impossible à
trouver.

source"avenir.fr.com"

De plus en plus de gens se croient possédés par Satan

De plus en plus de gens se croient possédés par Satan

Les prêtres exorcistes, à l’image du Père Le Moual, de Charmey, sont confrontés à une recrudescence des demandes d’exorcismes. Mais ils combattent davantage les angoisses que Satan. 

Jacques Le Moual utilise le signe de croix et l’aspersion d’eau bénite, qui renvoient au cœur de la foi baptismale, et le sel (disposé dans une assiette, à droite, sur la petite table), pour protéger les lieux.(photo Jessica Genoud)
SIls sont une dizaine par semaine à consulter le prêtre exorciste Jacques Le Moual, de Charmey. Ils se croient possédés, sous l’emprise de Satan ou victimes d’un mauvais sort. Paradoxalement, à l’heure où les fidèles quittent un à un les prie-Dieu, la croyance en Lucifer et ses légions augmente. D’ailleurs, aux réserves émises sur la personnification de Satan par Vatican II a succédé la demande du pape Benoît XVI, il y a deux ans, de former 3000 nouveaux exorcistes. Un ministère entouré de fantasmes, qui attise la curiosité. Invité par les Amis de Notre-Dame des Marches, le Père Jacques Le Moual tient ce soir une conférence sur le sujet, au centre paroissial de Broc.
«Les gens veulent aujour-d’hui trouver une explication à tout», analyse le Père Jacques, l’un des trois exorcistes du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. «Une femme dont le mari est au chômage et le fils alité à cause d’une jambe cassée se demandera qui lui en veut au point de lui jeter un mauvais sort…» Pour le prêtre exorciste, la tradition rurale, les médias et les films ne sont pas étrangers à l’augmentation des demandes d’exorcismes.

En guerre contre le Malin

Alors certes, L’Exorciste, grand classique du cinéma d’épouvante signé William Friedkin, a traumatisé des générations de spectateurs. Certes, le ministère catholique de l’exorcisme sort tout droit du Moyen Age, du temps où l’on brûlait allégrement sorcières et hérétiques.
Mais si cette imagerie obscurantiste et fantastique perdure et se ravive aujourd’hui, la réalité du Père Jacques est tout autre. Il ne part pas chaque matin en guerre contre le Malin et n’est pas confronté chaque semaine à des personnes dont la tête pivote à 360 degrés devant son sel et son crucifix.
En douze ans de pratique, il n’a été confronté que deux fois à des cas de possession (en 1997 en tant qu’assistant et en juillet 2009), où il a prononcé le grand rituel romain, évoqué dans le film (voir déroulementci-dessous). «Mon ministère est en réalité un ministère d’écoute. La plupart des gens qui viennent me voir vivent un mal-être, portent de lourdes souffrances. Et, bien souvent, elles ont déposé leur fardeau en me parlant.»
Le rituel de l’exorcisme ne s’impose donc qu’en cas de «possession diabolique véritable», précise le prêtre. Soit «la forme de tourment la plus grave que peut causer le démon, qui s’empare non pas d’une âme, mais d’un corps, et qui peut le faire agir ou parler à sa guise.»
Il faut donc croire au démon pour le chasser. «On ne peut saisir l’œuvre rédemptrice du Christ sans tenir compte de l’œuvre destructrice de Satan.» Et si, pour le Père Jacques, «les présences maléfiques existent», il n’en a pas peur. «Je sais qu’on peut prier pour s’en défendre.»

Une aversion pour Jésus

Mais la réserve et la prudence sont de mise devant le récit des gens. Car rares sont les cas nécessitant le fameux Vade retro, Satanas. «Nous devons faire preuve du plus grand discernement pour distinguer les cas d’assaut du démon de la crédulité qui pousse certains à se croire l’objet d’un maléfice», indique le prêtre.
A ces derniers, il offrira une aide spirituelle, mais n’emploiera pas l’exorcisme. Il ne s’impose que si la personne présente les signes typiques de possession: manifester une force supérieure à ses capacités; comprendre une langue inconnue; dévoiler des faits lointains ou cachés et présenter une aversion virulente envers tous les signes religieux et le nom de Jésus.
Et, pour affiner le discernement, les exorcistes se retrouvent chaque année en congrès et s’entourent d’une équipe, à qui ils présentent leurs cas suspectés. Une équipe qui se réunit toutes les six semaines, constituée du vicaire général Mgr Rémy Berchier, de trois prêtres exorcistes, d’un père jésuite, d’un laïc spécialiste de l’écoute et de deux psychiatres.
Il s’agit en effet de ne pas confondre paranoïa, schizo-phrénie ou attaques psychotiques avec attaques diaboliques. «Et nous prenons contact avec le médecin traitant ou le psychiatre de la personne. S’ils nous disent que tout a été entrepris et que la médecine ne peut plus rien faire pour leur patient, un exorcisme peut alors être envisagé.» Non sans le feu vert de l’évêque.

La misère humaine

Plus qu’à des forces obscures, les exorcistes sont confrontés à la misère humaine. «Les gens qui viennent nous voir ont des angoisses, des peurs, vivent des drames familiaux, ont des insomnies ou entendent peut-être des voix. Ils ont des problèmes à répétition et croient que le diable se cache derrière tout ça, rapporte le Père Jacques. Surtout, ils savent que nous ne les considérerons pas comme des fous. Souvent, notre écoute attentive et respectueuse suffit.»
L’écoute, mais aussi les prières, l’imposition des mains, l’eau bénite, le sacrement des malades ou le sel, qui sert à protéger les lieux des présences maléfiques. Car le prêtre se rend aussi régulièrement dans les maisons ou dans les fermes. «Comme le faisaient alors les capucins, précise-t-il. Il peut s’agir d’une maison où l’on entend des bruits insolites, où un suicide s’est produit ou encore des étables où les animaux meurent sans qu’aucun vétérinaire ne puisse faire quoi que ce soit.»
Pour le Père Jacques, l’influence maléfique peut être la cause de ces problèmes. «Mais il se peut aussi que ce soit une onde tellurique mal placée ou que la personne se fasse bêtement un film.» Peu importe finalement. «Nous considérons leurs souffrances et nous tentons de leur apporter un mieux-être par la foi, comme support de leur délivrance.» Que les exorcistes soient des «psys en soutane» ou des moines guerriers en lutte contre Satan, l’important pour eux est de soulager la souffrance de leur prochain.

Broc, salle paroissiale, «Le ministère du prêtre exorciste», conférence par le Père Jacques Le Moual, jeudi 25 mars, 20 h 15


Le grand rituel, que le prêtre exorciste Jacques Le Moual n’a pratiqué que deux fois en douze ans, a été élaboré en 1614, à une période où l’on rôtissait alors à tout-va sorcières et hérétiques. Le concile de Trente entendait donc codifier dans un manuel officiel la pratique de l’exorcisme, pour contrer la frénésie populaire.
En juillet dernier, Jacques Le Moual a dû recourir à cet «exorcisme majeur», qui s’est déroulé dans une petite chapelle aux alentours de Charmey. Durant une heure, accompagné d’un autre prêtre non-exorciste, le Père Jacques a procédé aux différents rites de la célébration. Sa bible: le manuel intitulé Rituel de l’exorcisme, remis en mains propres aux exorcistes par l’évêque, et dont ils ne peuvent dévoiler le contenu.

Prière «dépréciative» et «impérative»

Avant de commencer, le prêtre exorciste se prépare avec une oraison par laquelle il demande de pouvoir «exercer avec efficacité, par la puissance du Christ, la lutte contre le Malin». Quatre moments rituels suivent: celui d’ouverture, avec aspersion d’eau bénite sur la personne possédée, et litanie des saints. Ensuite, l’exorciste récite psaumes et prières puis impose les mains.
Arrive le rite de l’exorcisme proprement dit: le possédé est béni avec la croix et l’exorciste récite deux types de prières: la «dépréciative», demandant à Dieu de délivrer la personne, et l’«impérative», soit «une adjuration virulente adressée par le prêtre directement à Satan», qui se termine par le fameux Vade retro, Satanas. Après la délivrance, les personnes rendent grâce et l’exorciste conclut par une bénédiction.


Bio express

1947. Naissance de Jacques Le Moual à Saint-Brieuc, dans les Côtes d’Armor bretonnes. Economiste de formation et docteur en droit des affaires, il travaille durant dix ans en entreprise.
1983. Agé de 36 ans, il quitte la vie laïque.
1991. Est ordonné prêtre.
1994. Rattaché au diocèse de Fribourg, il officie pendant dix ans à Praroman.
1997. Assiste à un «grand rituel» d’exorcisme, à Praroman.
2001. S’installe à la cure de Charmey.
2009. Procède à son premier rituel d’exorcisme, à Charmey.




25 mars 2010